INTERVIEW

Affirmation n°1.

À l'origine de chaque projet de Monts et Merveilles, il y a une promesse.

 

J : Sans aucun doute. Comme on ne maîtrise pas ce qu'on va réellement produire, ni au début, ni parfois même jusqu’à la fin, ce qui nous anime, c’est avant tout ce qu’on imagine, ce qu’on se promet.

E : C'est une question de confiance. Celle qu'on accorde à ce qui va se passer, celle qu'on nous accorde lorsqu'on demande à des partenaires de nous suivre, celle qu'on se donne entre nous pour échanger et collaborer. C'est quelque chose de collectif.

J : Une promesse s'adresse toujours à quelqu'un. On ne fait pas de promesse dans le vent.

E : Mais la promesse - c’est son principe - n'est pas toujours tenue. Quelquefois, on se trompe ou on n'arrive pas à ce qu'on avait imaginé ou désiré. Rien n’est garanti. Par contre, il y a la promesse qu'on va s'engager dans la bataille avec une intention.

J : Au bout du compte, je pense que la promesse est chaque fois tenue, même si le résultat n'est pas conforme aux attentes. Le contrat est rempli. Il se passe toujours quelque chose.

E : C'est comme avec les promesses électorales !

J : Cela revient à donner sa voix à un candidat sur la base de ce qu'il propose sans assurance du résultat. Nous, on ne joue qu'avec ça. On ne propose qu'une promesse, et c'est pour ça qu'on s'appelle Monts et Merveilles. Mais ce qu'on fait de la merveille ou de la promesse ou du spectaculaire… Des gens ont pu être surpris par notre travail simplement parce qu'ils s'étaient fait une idée de ce que pouvaient réaliser des artistes s'appelant Monts et Merveilles.

E : C’est à travers la manière qu'on a de promettre des choses, d'arriver à vendre des formes, à trouver des partenaires sur cette base-là qu’on trouve notre place dans la société communicante actuelle. C’est une mise en abyme de cet environnement. Promettre, dans ces circonstances, c'est à la fois jouer le jeu et porter un regard critique sur ce jeu et sur ses règles.

 

 

Affirmation n°2.

Notre société de consommation-communication repose sur le principe suivant : « le produit, c'est vous ». Dans vos créations/actions/propositions, au contraire, l’enjeu est : « le sujet, c'est nous ».

 

E : Merci pour ce sujet de dissertation avec une belle implication dans les pronoms ! Le « nous » implique celui qui énonce la phrase ou la proposition, alors que le « vous » crée une séparation entre celui qui propose et celui qui dispose. C'est vrai que ça fait partie de notre projet de réfléchir à la place des personnes et de proposer des endroits où cette place n’est ni prédéterminée ni définitive (acteur ou spectateur, producteur ou consommateur, etc.). Ce refus de telles dissociations rejoint la manière qu'on a de ne pas définir notre travail d’après un genre ou un courant, ni de définir les personnes avec qui on entre en interaction. On s'appuie sur ce qui est là, sur les personnes présentes, sur ce qui se passe à un moment donné et tout cela devient le sujet de nos créations. Il n’y a pas vraiment d'objet extérieur. C'est donc pour cette raison qu'on se retrouve souvent à parler de l’action en cours ou à décrire les choses ou les personnes que l'on voit, ce que l'on vit. Le sujet de la création c'est en effet nous, tous ceux qui partagent la proposition, y compris les artistes.

J : Peu de gens considèrent qu'ils sont la matière première de notre société de l’hyper-communication. La plupart pensent qu’ils sont des sujets agissants face à des produits-objets. Notre travail prend le contre-pied de cette croyance. Ce qui nous anime, comme par exemple dans Le Grand tournoi, c'est de se demander qui est quoi dans l'histoire. On est là pour aplatir les choses, pour montrer ce à quoi on aboutit dans un tel système. Ce n’est pas du cynisme de notre part, c’est la situation qui l’est.

E : Il y a un double enjeu. D'un côté, montrer les artifices qui permettent de manipuler les gens pour en faire des produits, et d'un autre côté, proposer une alternative dans le but de nous recentrer sur nous, sujets individuels, sur ce que l'on vit, sur la place que l'on peut prendre avec son corps, avec son point de vue, avec ses perceptions. Dans les actions que nous avons menées au FRAC Aquitaine, l'important c'était d'être ensemble dans cet endroit, en se préoccupant avant tout du point de vue des personnes qui partageaient l’expérience qu’on leur proposait. Les objets ou les endroits qu'on traverse ne sont jamais que des outils. Le sujet de nos actions porte plus sur ce qu'on est en train de vivre que sur un objet x ou y qui précéderait ou qui résulterait de l'expérience.

 

 

Affirmation n°3.

Dans les formes que vous proposez, la règle du jeu est très simple.

 

J : Côté participant, la règle du jeu a l'air très simple et elle l'est effectivement.

E : Si l'on veut qu'une chose existe et qu'elle soit réelle, il faut qu'elle soit simple. Quand on propose une « chorégraphie », comme c’est le cas dans Cross Country, il faut que tout le monde puisse y participer. Ceci dit, notre promesse, telle que nous la formulons dans des dossiers ou dans nos notes d’intention, est au contraire très complexe et sophistiquée, parce qu’on veut montrer qu’on aborde des choses très profondes. Mais au final, ça doit rester une expérience collective, pas une cogitation.

J : La règle du jeu est simple en apparence, mais les choses que nous évoquons ne le sont pas. Derrière les jolies photos des calendriers que nous avons réalisés dans le cadre du projet de rénovation urbaine du quartier Saint Jean/Belcier à Bordeaux, on pose des questions sur la mutation urbaine, sur la manière dont un quartier se métamorphose en très peu de temps, sur la place des habitants…

E : Pour ce calendrier, la règle du jeu, c'est de le prendre, de l'accrocher au mur et de le regarder chaque jour. C'est un objet très simple dans son usage. C’est le même principe pour de nombreuses autres propositions. Il suffit d’y accorder un peu d’attention et de se laisser guider.

J : En revanche, si on n’entre pas dans le jeu, si on n’en fait pas l’expérience, ça peut paraître futile. Ce qui nous ramène au problème de la promesse… Soit les gens nous font confiance et accèdent à quelque chose, soit ils ne le peuvent pas, ou ne le veulent pas, et passent à côté.

E : Il y a néanmoins quelque chose qui n'est pas facile à appréhender dans ces règles du jeu, c’est qu’elles sont souvent absurdes. Elles reposent sur la juxtaposition de choses a priori très différentes (le sport et l'explication patrimoniale, la gravité d’un sujet et le ton employé pour en parler, etc.). L'absurde pose la question du sens et de la cohérence qu'ont les choses. C'est donc arrivé que des gens ne comprennent pas la règle du jeu et trouvent notre proposition débile alors qu'on jouait avec le second degré, avec une certaine forme d'humour, autant de choses qui peuvent être difficiles à percevoir. L'absurde reste une règle du jeu un peu complexe qui implique que le spectateur, l'auditeur ou le participant soit capable de ne pas prendre ce qui est dit ou fait au premier degré, qu'il soit capable de comprendre que la simplicité apparente d'une chose implique autre chose.

J : Au bout du compte, on se rend compte que ce n'est pas du tout simple d'entrer en communication ou de parler de la même chose. C'est difficile d'être ensemble. On s'amuse à décortiquer ça.

 

 

Affirmation n°4.

La poésie, c'est quand on transforme quelque chose.

 

J : Notre travail consiste à prendre des choses existantes et à les faire se frôler pour qu'elles se transforment au contact l'une de l'autre, ce qui peut créer une forme de poésie.

E : C’est un processus qui se déroule dans la durée, étranger à l’idée qu’un projet commence puis se termine. Le Grand Tournoi par exemple se poursuit depuis trois ou quatre ans. Il prend des formes successives qui s'influencent les unes les autres au fur et à mesure, sans se répéter. C’est notre façon de fonctionner. Un contexte amène à une proposition qui va évoluer vers autre chose parce qu’on l’aura mise en œuvre dans un autre contexte, et ainsi de suite. Ça demande de constamment repenser, réassimiler, se re-confronter. On ne bénéficie pas du confort de l'objet qui se rôde et s'affine pour devenir bien lisse. On est toujours sur quelque chose qui jaillit à un moment donné, et qu’on remet en jeu à chaque fois.

J : La poésie surgit au moment où les choses se transforment, que ce soit quand on écrit ou dans les moments qu'on passe avec les gens. C'est peut-être le fait d'être ensemble et la manière dont on fait les choses qui génère de la poésie.

 

 

Emmanuel Commenges et Jonathan Macias